Graves menaces sur la presse libre : Ce Monsieur est un danger!
On le voyait venir. Il est arrivé, l’estocade à la main, comme un matador. Mais le président du CNP a de fortes chances de rater sa cible.
Qu’on se le tienne pour su et pour dit ! On ne réussira pas à nous faire taire. Du moins, nous ne nous tairons pas. Si nous avons bravé les canons, les tueries, les exactions et autres humiliations des FRCI pour prendre notre place sur le marché, ce n’est pas le CNP, notre structure à la création de laquelle nous avons participé pour notre sécurité et garantir la liberté de la presse qui va nous faire peur. Que donc, notre doyen Eugène Dié Kacou se ravise très vite pour ranger soigneusement dans leurs fourreaux, ses sabres et couperets. Le manteau de guillotineur qu’il est en train de se couvrir ne lui sied pas. Et il le sait très bien.
La presse ivoirienne n’a pas besoin en ce moment de donner d’elle-même, une bien pâle image au monde, celle d’une catégorie socio-professionnelle qui se saborde et qui n’a qu’une petite idée d’elle-même. Le doyen qui rappelle à qui veut l’entendre qu’il a sacrifié sa vie à la lutte pour les libertés démocratiques sous Houphouet-Boigny, ne se sent-il pas à l’étroit de voir aujourd’hui que, plus de quarante ans après, nous sommes en train de revenir au parti unique ? Ne se rend-il pas compte que toutes les expressions démocratiques ont été tuées et que seule la presse se bat, comme elle peut, pour assurer une certaine équité ? Nous sommes conscients du rôle majeur qui est le nôtre aujourd’hui encore, et nous n’entendons pas nous échapper à ce bonheur.
C’est la raison pour laquelle nous sommes restés fidèles à la voie du professionnalisme, du respect de l’éthique et de la déontologie de ce noble métier que certains s’évertuent journellement à prostituer. Pour nous, la voie que viennent de choisir le CNP et son président n’est ni plus ni moins celle de l’avilissement, de la dégradation de notre métier et de la prostitution de nos talents. Nous ne saurions les laisser faire.
Honnêtement, à moins de n’être pas d’un esprit sain, avons-nous le droit de vouloir décider à la place des journalistes ? De quel droit Dié Kacou peut-il se permettre de dicter désormais aux journalistes les adjectifs, les substantifs, les verbes, les déterminants, bref, tous les «caractérisants» qui structurent une pensée, une idée donc un article de journal ? Même au temps des Houphouet, Mobutu, Eyadema, Tolbert, Nasser et que savons-nous encore, jamais pareille décision n’avait été envisagée. Parce qu’ils la trouvaient tous grotesque et procédaient finement. Avec le président du CNP, plus besoin de chercher ici et là à varier son vocabulaire. Les mots prêts à être utilisés sont dans son tiroir. Il suffira pour chaque rédaction de la presse privée libre, de passer tous les matins ou à l’heure du bouclage, récupérer ce qu’il lui est dû pour fabriquer son journal. C’est scandaleux ! A cette allure, si rien n’est fait, Dié Kacou va exiger que chaque rédaction dépose son BAT (Bon à tirer) sur ses bureaux, le temps pour lui de le consulter avant de prendre le chemin de l’imprimerie. C’est déshonorant !
Il ne faut plus dire dans ce pays que Gbagbo a été victime, le 11 avril 2011, d’un coup d’Etat. Il ne faut plus écrire que Ouattara est arrivé au pouvoir dans la besace de l’armée française et des soldats de l’ONU. Parce que pour le président du CNP qui agit certainement sous le couvert d’un autre pouvoir, il n’y a eu ni coup d’Etat, ni intervention des armées étrangères dans l’accession de son champion au pouvoir. Questions tout de même !
S’il n’y a pas eu coup d’Etat en Côte d’Ivoire, pourquoi alors Ouattara pose tous les actes administratifs en dehors de la Constitution de Côte d’Ivoire ? Eugène Kacou peut-il nous dire pourquoi Ouattara a mis fin aux travaux de l’Assemblée nationale alors que la Constitution ne l’y autorise pas ? Le président du CNP peut-il expliquer aux Ivoiriens pourquoi Ouattara a nommé le président du Conseil économique et social, là où la loi n’autorise qu’une élection ? Le doyen Kacou a-t-il les moyens techniques de dire à la face du monde que la nomination de Francis Wodié à la tête du Conseil constitutionnel pour trois ans répond aux normes constitutionnelles ?
S’il n’y a pas de coup d’Etat en Côte d’Ivoire, comment explique-t-il qu’alors que Ouattara n’avait pas encore prêté serment devant le Conseil constitutionnel, il prenne des décisions au nom de l’Etat de Côte d’Ivoire ? S’il n’y a pas eu de coup d’Etat, une armée privée peut-elle devenir, comme ça, l’armée d’un pays et faire tout ce qui lui passe par la main ? Et si l’on arrêtait de distraire les Ivoiriens ?
Eugène Kacou ne le sait que trop et l’on a peine à comprendre pourquoi il veut ramer à contre courant d’un mouvement qui ne cache pourtant pas ses ambitions. Dans l’entendement de Ouattara et ses proches, le 11 avril est le couronnement de la longue marche contre les institutions de la République qu’ils ont entamée subtilement en 1993, à la mort de Félix Houphouet-Boigny. Alors que nombre de familles ivoiriennes continuent de faire des cauchemars à la veille de chaque 19 septembre depuis 2003, les proches de Ouattara, eux, ont choisi cette date comme le début du début de leur pouvoir actuel. Or, en septembre 2002, ils étaient armés et ont attaqué les fondements de la République. Ils faisaient un coup d’Etat qui a échoué. Huit années après, aidés par une coalition internationale armée jusqu’aux dents, ils ont réussi à renverser un pouvoir même s’il n’est pas celui de Dié Kacou. Ce sont les faits qui, dit-on, sont têtus dans notre métier de journa-liste.
Abdoulaye Villard Sanogo