« Guerre pour le cacao dans l’Ouest ivoirien », un article à lire et à faire lire…

Publié le par thruthway

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Cet article publié dans « Le Monde diplomatique » (un journal français) de ce mois de septembre 2012 est un appel à la conscience du peuple ivoirien et à tous les patriotes… Alerte ! Alerte ! Alerte ! Il y a quelque chose de grave qui se passe à l’ouest de la Côte d’ivoire…

 

Nous vous livrons ici l’intégralité de cet article pour que chacun mesure la gravité de ce qui se passe dans cette région…. Enfin la vérité sur la Côte d’ivoire commence à se faire jour dans le milieu des médias internationaux même si elle n’est pas encore totale….

 

 

A Abidjan, les exactions contre les partisans de l’ancien président Laurent Gbagbo se sont multipliées cet été. Si M. Alassane Ouattara a finalement pris le pouvoir, en mars 2011, après une crise postélectorale meurtrière, la réconciliation est encore loin. Dans l’ouest du pays, l’Etat ne contrôle plus rien ; des mafias ont mis la main sur l’économie du cacao.

 

UN VÉHICULE calciné et criblé de balles : c’est tout ce qu’il reste de l’attaque qui, le 8 juin 2012, a coûté la vie à sept casques bleus près de Taï, petite bourgade de l’ouest de la Côte d’Ivoire. Dans cette région, depuis plus d’un an, les villages font l’objet de mystérieux raids meurtriers. Yamoussoukro (1) a accusé des «mercenaires libériens». Partisans de l’ex-président Laurent Gbagbo et opposés à son successeur Alassane Ouattara, ces hommes traverseraient le fleuve Cavally, qui marque la frontière avec le Liberia, pour venir semer la terreur en Côte d’Ivoire. Mais, sur le terrain, la situation ne paraît pas aussi claire : depuis la crise qui a suivi l’élection présidentielle de 2010 (2), dans l’ouest du pays se joue un inquiétant imbroglio politique et militaire, avec pour seul enjeu le contrôle des ressources naturelles.

 

Ce sont en effet ses sols, extrêmement fertiles, qui font la richesse de cette région verdoyante. On y cultive le cacao, dont la Côte d’Ivoire est le premier exportateur mondial. S’y étendent également les dernières aires forestières nationales, dont les forêts de Goin-Débé (133 000 hectares) et de Cavally (62 000 hectares), réservées à la production de bois d’oeuvre (3). Depuis toujours, ces atouts ont attiré des planteurs d’un peu partout, y compris d’Etats voisins. Ce mouvement avait été encouragé par le président Félix Houphouët-Boigny (au pouvoir de 1960 à 1993), qui avait décrété que « la terre appartient à celui qui la met en valeur ». Si la région est aujourd’hui l’un des principaux centres de production de cacao, on y plante aussi des hévéas, qui hissent le pays au rang de premier producteur africain de caoutchouc. «Cinq hectares d’hévéas rapportent de 7 à 8 millions de francs CFA [environ 12000 euros] par mois », calcule un sous-préfet. Une petite fortune.

 

Les problèmes ont commencé au milieu des années 1980, lorsque les cours mondiaux du cacao et du café ont chuté. La concurrence entre planteurs s’accroissant, des conflits fonciers ont alors éclaté entre les autochtones, devenus minoritaires, et les étrangers. La politique de l’« ivoirité » promue par le président Henri Konan Bédié (1993-1999) a encore envenimé les relations en poussant les nationaux à revendiquer les terres cédées aux nouveaux arrivants. Une loi de 1998 a explicitement exclu les non-Ivoiriens de la propriété foncière.

 

Des hommes armés s’emparent d’un parc national

 

La tentative de coup d’Etat perpétrée le 19 septembre 2002 contre le président Gbagbo par des militaires du nord du pays partisans de M. Ouattara a achevé de mettre le feu aux poudres. La guerre civile qu’elle a déclenchée a touché tout particulièrement l’Ouest et la ville de Duékoué. Située à une centaine de kilomètres au nord de Taï, Duékoué se trouve au croisement stratégique des routes menant au Liberia, en Guinée et à San Pedro, port d’exportation du cacao. Les rebelles, baptisés Forces nouvelles, y ont fait venir d’anciens combattants des guerres civiles libériennes (1989-1997) et sierra-léonaise (1991-2002), dont Sam Bockarie, responsable d’atrocités en Sierra Leone.

 

En retour, Yamoussoukro a aussi mobilisé des Libériens et armé des civils, pour la plupart autochtones. Chaque camp a semé la terreur, contribuant à exacerber les antagonismes communautaires. A l’issue du conflit, le pays s’est trouvé de facto divisé en deux et Duékoué placée sur la ligne séparant le Sud, administré par la capitale, et le Nord, géré par les Forces nouvelles. La région du Moyen-Cavally (devenue depuis deux entités différentes, le Cavally et le Guémon), dont dépendaient Taï et Duékoué, est restée dans le camp gouvernemental. Mais les armes ont continué à circuler pendant toutes les années 2000, et des milices et groupes d’autodéfense plus ou moins soutenus par le camp Gbagbo se sont maintenus face aux rebelles, si bien que les tensions sont demeurées fortes, la présence de l’Etat étant en outre très limitée.

 

Après la signature de l’accord de paix (4), le 26 janvier 2003, d’ex-combattants rebelles profitent de l’accalmie pour s’emparer de portions de territoire: M. Amadé Ouérémi, un Burkinabé ayant grandi en Côte d’Ivoire, s’installe ainsi avec plusieurs dizaines – voire plusieurs centaines – d’hommes armés dans le parc national du Mont Péko, à trente cinq kilomètres au nord de Duékoué. Ils y cultivent notamment du cacao. Impossible de les déloger : en 2010, ils chassent même des agents de l’Office ivoirien des parcs et réserves et incendient leur véhicule. Un autre phénomène déstabilisateur apparaît en 2007 : l’arrivée, par cars entiers, de Burkinabés. En toute illégalité, beaucoup s’établissent dans la forêt de Goin-Débé, où ils développent des plantations de cacao. Dans le même temps, de nombreux déplacés de la guerre ne parviennent pas à récupérer leurs champs.

 

Quand la crise postélectorale opposant MM. Ouattara et Gbagbo se transforme en conflit armé, en mars 2011, Duékoué souffre comme jamais. Lors de la prise de la ville par l’armée créée par M. Ouattara, les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI, composées principalement des ex-Forces nouvelles), des centaines de personnes– la Croix-Rouge a compté huit cent soixante-sept corps –, essentiellement de jeunes hommes, ont été assassinées. Selon une commission d’enquête internationale et des associations, ce sont des soldats des FRCI qui ont commis ces crimes, ainsi que des Dozos, une confrérie de chasseurs traditionnels du nord du pays, et des partisans de M. Ouérémi. Malgré les promesses de justice du président Ouattara, qui prend finalement le pouvoir le 11 avril 2011, cette tuerie n’a donné lieu à aucune enquête.

 

Depuis, la situation s’est encore compliquée, avec l’entrée en scène de nouveaux acteurs. D’abord, des hommes armés attaquent, à partir de juillet 2011, une petite dizaine de villages. C’est à leur propos que les autorités parlent de «mercenaires libériens » payés par des opposants à M. Ouattara en exil au Ghana. Des sources onusiennes évoquent plutôt des autochtones oubis réfugiés au Liberia et cherchant à défendre les terres qu’ils ont perdues. Ensuite viennent les Dozos : arrivés dans la région pendant la crise, ils n’en sont jamais repartis. De plus en plus nombreux, ils circulent à moto, en habits traditionnels, agrippés à leur fusil «calibre 12». Beaucoup viennent du Burkina Faso et du Mali. Certains sont devenus agriculteurs.

 

L’inverse est aussi possible : il y a un an, un planteur burkinabé installé près de Taï depuis une trentaine d’années a rassemblé un groupe de Dozos pour « assurer la sécurité des populations », dit-il. En réalité, beaucoup de Dozos, devenus miliciens, terrorisent la population et la rackettent. Les villages ont perdu tous leurs habitants autochtones.

 

Les villages ont perdu tous leurs habitants autochtones

 

A cela s’ajoute l’immigration burkinabé, d’une ampleur sans précédent. Huit cars transportant chacun environ deux cents personnes arrivent désormais chaque semaine à Zagné, à cinquante kilomètres au nord de Taï. Une partie de ces voyageurs s’entassent aussitôt dans des camions de chantier qui prennent la direction du sud-ouest. Leur installation se trouve facilitée par l’absence d’une grande partie de la population autochtone– au moins soixante-dix mille personnes – réfugiée au Liberia. Les treize villages implantés au sud de Taï ont ainsi perdu tous leurs habitants autochtones. Sauf un : fin juin, à Tiélé-Oula, il restait neuf Oubis sur les quelque deux cents qui y vivaient avant 2011, pour trois mille Burkinabés.

 

Si certains Burkinabés investissent les champs des absents, beaucoup gagnent les forêts de Goin-Débé et de Cavally, désormais totalement ravagées. Dormant sous tente, ils y plantent des cacaoyers, des hévéas, mais aussi du cannabis. A Yamoussoukro et à Abidjan, la situation est connue : fin mai, le gouvernement a ordonné l’évacuation des forêts avant le 30 juin. Sans résultat. «L’Etat doit contrôler les frontières, assène le maire adjoint de Taï, M. Téré Tehe. Et il ne faut pas attendre que ces gens aient fini de planter pour les chasser. »

 

Problème : les nouveaux occupants sont armés. Observant un jeune paysan burkinabé partir aux champs un fusil en bandoulière, le chef autochtone du village de Tiélé-Oula, M. Jean Gnonsoa, ne cache pas son désarroi : « Ici, les étrangers peuvent avoir des armes, mais pas les autochtones » – sous peine de représailles. «Comment régler sereinement un litige foncier face à quelqu’un qui est armé ? », s’interroge M. Tehe. «Les Burkinabés nous disent que le président qui est venu [M. Ouattara, qui a des origines burkinabés] est leur homme, et qu’ils ont donc le droit de tout faire », déplorent des villageois. De fait, certains s’emparent de plantations déjà occupées. «Aujourd’hui, 80% de ceux qui sont installés dans les forêts de Goin-Débé et de Cavally sont armés de kalachnikovs et de fusils calibre 12 », rapporte un administrateur local. Il évoque une organisation mafieuse à l’origine de cette colonisation : « Il y a ceux qui les convoient, ceux qui établissent dans les forêts les points de contrôle auxquels chacun doit payer 25 000 francs CFA pour avoir accès à une parcelle de terre, etc. » M. Ouérémi est régulièrement cité comme l’un des responsables présumés de ce trafic de terres et de personnes, en lien avec des officiers des FRCI.

 

Dans le pays, les FRCI, justement, sont les seules forces régulières à disposer d’armes depuis que, soupçonnées d’être favorables à M. Gbagbo, police et gendarmerie en sont privées. Jouissant d’une impunité quasi totale, elles font la loi. A Duékoué, elles entretiennent un climat de terreur et sont, d’après plusieurs témoins, impliquées dans des exécutions extrajudiciaires. Des observateurs les accusent aussi d’être derrière certaines des attaques attribuées aux «mercenaires libériens ». Beaucoup soupçonnent leurs membres d’être originaires d’une seule région, le Nord, mais aussi d’être de nationalité burkinabé.

 

Impôts illégaux et racket des paysans

 

Une chose est certaine : les FRCI se sont arrogé le droit de percevoir les taxes qui devraient normalement revenir à l’Etat. Selon un rapport de l’ONU, elles prélèvent aussi «de 4 à 60 dollars, voire beaucoup plus », sur les déplacements de personnes et de véhicules (5). Et elles rackettent les paysans : dans un village près de Taï, une femme se plaint de devoir leur payer 20 000 francs CFA (30 euros) par mois pour accéder à sa plantation.

 

Après la mort des casques bleus, plusieurs centaines d’éléments FRCI ont été déployés autour de Taï pour une opération de « sécurisation » dirigée par le commandant Losséni Fofana, alias « Loss ». Ancien chef de guerre des Forces nouvelles, ce dernier commandait déjà les troupes qui ont attaqué Duékoué en 2011. Ses soldats auraient joué un rôle important dans le massacre des Guérés (6). Pour l’actuelle opération de « sécurisation», il a fait installer de nombreux points de contrôle. Les mauvaises langues assurent qu’ainsi pas un seul sac de cacao n’échappera au racket des FRCI. Et peut-être aussi à la contrebande vers le Ghana (7).

 

Début juillet, le gouvernement a annoncé le lancement d’un recensement national des ex-combattants– le deuxième en un an –, promettant le désarmement tant attendu. Cela ne suffit pas à rassurer les habitants du Far West ivoirien, dont beaucoup voudraient aussi que la justice fonctionne : malgré les promesses du président Ouattara, la tuerie de mars 2011 n’a donné lieu à aucune poursuite judiciaire. Pis, elle a vraisemblablement été le moteur d’un nouveau drame, le 20 juillet : des centaines d’individus, parmi lesquels des Dozos et des FRCI, ont attaqué et détruit un camp de déplacés du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), près de Duékoué. En toute impunité. Des sources humanitaires parlent de cent trente-sept cadavres retrouvés dans les jours qui ont suivi ; des Dozos ont également cherché à faire disparaître de nombreux corps. Plusieurs indices laissent penser que cette attaque avait été planifiée de longue date. Sous couvert d’anonymat, un spécialiste de la région nous confie : «Le camp était gênant, car des témoins du massacre de mars 2011 s’y trouvaient. Aujourd’hui, ils sont morts ou dispersés. C’est ce que voulaient ceux qui ont organisé l’opération. »

 

(1) Yamoussoukro est la capitale politique de la Côte d’Ivoire ;

Abidjan, sa capitale économique.

(2) Lire Vladimir Cagnolari, «Côte d’Ivoire, les héritiers maudits

de Félix Houphouët-Boigny», Le Monde diplomatique, janvier 2011.

(3) Bois destiné à être travaillé.

(4) L’accord de Marcoussis (près de Paris) prévoyait le maintien

au pouvoir du président Gbagbo et un gouvernement ouvert à toutes

les parties.

(5) Rapport S/2012/196 du Groupe des experts sur la Côte d’Ivoire

de l’ONU, avril 2012.

(6) Rapport de Human Rights Watch, « “Ils les ont tués comme

si de rien n’était” », octobre 2011.

(7) Rapport S/2012/196, op. cit.

Publié dans Droit de l'homme

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F
<br /> Merci pour le temps que vous passer sur ce blog et les informations que vous faites figurer. En tout cas c’est un blog utile de plus il est facile à consulter. Bonne continuation pour ce<br /> merveilleux travail.<br />
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