REPORTAGE /AU CŒUR D’AKOUPE-ZEUDJI, TOUT UN VILLAGE AKYE OTAGE DES FRCI : LES RAISONS…
Dans l’affaire d’Akoupé-Zeudji, à la suite de violentes bagarres entres jeunes du village et éléments des Frci, 11 villages de la région avaient été accusés, en début de mois d’août, de fomenter une rébellion armée. Des démentis, preuves à l’appui, ont été produits et le calme est revenu suite à une médiation des autorités administratives. Mais sur le terrain, des faits démontrent que dans toute cette histoire, les Frci sont des acteurs d’un conflit de pouvoir, avec des relents économiques. Où les populations sont comme prises en otage.
Akoupé-Zeudji dans la sous-préfecture d’Anyama, village natal du Premier Ministre Aké N’Gbo Gilbert, a retrouvé sa quiétude depuis les affrontements entre jeunes et Frci le dimanche 31 juillet. «Il n’y a plus rien aujourd’hui, le calme est revenu. Mais c’est toujours la méfiance entre les jeunes et les éléments Frci. Chacun est dons son coin. On regrette ces affrontements du début de mois. Tout ça est arrivé à cause de certains jeunes habitant le village qui ont rejoint les Frci et qui se promenaient dans le village avec leurs armes pour intimider les villageois. Ils allaient même jusqu’à provoquer d’autres jeunes. Et quand il y a bagarre, les Frci considèrent ça comme une attaque contre elles. Et c’est ce qui a entrainé toute cette affaire…», confie un cadre du village, qui a requis l’anonymat.
Les Frci venues à la demande du chef de village…
Toute cette affaire puise sa source dans la sédentarisation des Frci dans le village courant juin. Les Frci ont établi leur base dans le village après que le chef, Aghoussi Jules, leur a fait appel. Pour, rapportent des voix sages, «sécuriser» le village après que des attaques et braquages perpétrés sur des planteurs d’hévéa dont M. Amonssan Yapi. La cohabitation était parfaite au début. Pour preuve, à la demande du chef, une cotisation avait commencé à être levée pour subvenir aux besoins des «gardiens».
Mais patatras… ! tout va se gâter quand ces derniers vont se rendre coupables de plusieurs abus sur les personnes qu’ils sont censés protéger. Très vite, les villageois déchantent. «A un moment donné, ils ont commencé à maltraiter les villageois. Pour un rien, ils instauraient des couvre-feux. Le racket était accentué. Ils rançonnaient les populations en capturant des personnes et en exigeant de l’argent pour leur libération. Ils ont même maltraité des vieilles femmes qui revenaient de l’église, un jour…», raconte le jeune Yapo. Les relations se compliquent donc et l’hostilité s’installe. Jusqu'à la bagarre qui a lieu au Maquis DD Chelsea. (voir image du maquis ci-dessous)
Les jeunes s’interposent pour défendre un des leurs, Gbakré Awo qui manque d’être bastonné par les Frci. Ce dernier avait été sommé de se débarrasser d’un ancien treillis de son père ancien combattant qu’il avait porté pour frimer et coller à la mode. Ces altercations mettent le feu aux poudres. Dans la foulée, des coups de feu partent, atteignant grièvement des personnes. Les villageois, comme à chaque coup de feu entendu dans la période, sortent massivement. Les éléments Frci considèrent cela comme une révolte contre eux. Les renforts sont appelés d’Abidjan. Les jeunes du village sont violemment passés à tabac, pour ceux qui n’ont pu se réfugier en brousse.
Dès lors, le départ des Frci du village est exigé, et cela est signifié au chef. Même malgré la médiation des autorités qui a ramené le calme, la population tient toujours à sa volonté de voir partir «les invités du chef du village».
…et lui servant d’épouvantail
Cette polémique sur le départ des Frci intervient dans un contexte de conflit politique à Akoupé-Zeudji. Il existe, en effet, un conflit de chefferie dans le village depuis des années. Un différend qui oppose le chef Aghoussi Jules au conseil des sages, qui l’a destitué. Mais ce dernier refuse d’abandonner ses prérogatives et se maintient à son poste. Cette attitude, les villageois ne manquent pas de la dénoncer vigoureusement. «Il y a collision entre le chef et les Frci ? C’est lui qui les a fait venir. Il se satisfait de leur présence et même des souffrances qu’ils infligent aux populations qu’il dit être ses administrés», martèlent des jeunes leaders de la fronde contre les «soldats». «Mon petit frère, de retour d’Attinguié (village voisin, à 2 km de marche, ndlr) a été tabassé une fois par les éléments des Frci. Nous sommes allés dénoncer cela chez le chef, lui montrant même les blessures sur son dos. Il n’a eu aucune considération pour nous ce jour-là. Plutôt que de demander des comptes aux Frci, le chef a demandé à mon frère ce qu’il est allé chercher à Attinguié. Comme si on n’avait plus le droit de sortir du village ! Ce chef se moque des exactions que les Frci nous font subir», témoigne un autre jeune habitant du village. Des personnes âgées dénoncent également «la complicité du chef avec les Frci». Ils parlent même d’un «partage, chaque soir, du butin du racket avec le chef qui aurait mis un de ses véhicules à la disposition» des hommes en armes.
Ces témoins rapportent aussi que le chef Aghoussi Jules, pressé par les villageois de demander le départ des Frci, a plusieurs fois marqué publiquement son refus. Selon ces sources, le chef a même indiqué que même si les soldats venus du nord devraient se retirer d’Akoupé Zeudji, pour sa sécurité, des éléments pourraient rester. D’ailleurs, un barrage Frci a été érigé à quelques mètres de sa cour.
A l’analyse, les Frci sont à Akoupé Zeudji, un épouvantail qu’agiterait à souhait le chef pour intimider les populations qui lui sont hostiles et les tenir en respect. Approché pour répondre de ces allégations contre sa personne, le chef Aghoussi a refusé catégoriquement de répondre à nos questions. «L’affaire est classée. Des démentis et des clarifications ont été apportés dans les journaux. Et donc je ne voudrais plus revenir sur ce sujet», nous a opposé, embarrassé, l’ancien intendant.
Une sédentarisation juteuse
Voir les Frci quitter le village d’Akoupé –Zeudji serait très surprenant pour l’instant. Ceux-ci semblent se plaire dans le village. Les Frci tirent en effet une manne du racket qu’ils exercent sur la production d’hévéa. Ils exigent 1500 F CFA par camion qui passe (1000 F du planteur et 500 F du chauffeur). Et cela, aux deux barrages à l’entrée et à la sortie du village. Ce sont des sommes faramineuses qu’ils récoltent ainsi quand ont sait que l’ hévéaculture dans la région est en pleine exploitation. Les Frci ne cachent d’ailleurs pas leur intention de prolonger leur séjour, avec la bénédiction du chef. Le fait est saisissant, pour ce qu’il nous a été donné d’entendre au barrage devant la villa du chef. Les Frci se plaisent à railler la volonté des villageois qui exigent leur départ. Ainsi, un de leurs sympathisants qui arrive à leur niveau entonne le célèbre titre d’Alpha Blondy. «Armée française, allez vous-en, allez vous- en de chez nous…» Et le soldat Frci de se fendre dans un rire et de répondre : «On n’ira nulle part, le chef de village veut qu’on reste !» Très évocateur ! Par ailleurs, ces hommes en armes, en dépit de l’hostilité de leurs hôtes, arguent de l’importance du village d’Akoupé-Zeudji dans leur dispositif sécuritaire pour justifier leur maintien. «Nous sommes dans leur viseur parce que pour eux, le Premier Ministre Aké N’Gbo nous aurait donné des armes qu’on cache», expliquent certains villageois.
Prolongement de la guéguerre LMP/RHDP
De toute cette embrouille, il ressort que ces Frci ne sont qu’un instrument du conflit RHDP/LMP très rude dans ce village Attié. Le chef Aghoussi Jules, militant PDCI et donc RHDP (même si selon les témoignages, il aurait, suite à un revirement, battu campagne pour LMP aux présidentielles) utilise, dans ce nouveau contexte, les Frci comme moyen de pression sur les militants LMP largement majoritaires dans le village et se maintenir à son poste.
Le problème de la chefferie dure déjà des années dans ce village. Le chef Aghoussi Jules a été destitué par le conseil des sages du village en faveur de Djoman Akré il y a de cela quelques années. Mais l’intendant refuse de céder sa place et de façon récurrente, cette question empoisonne le quotidien des populations. C’est cela la réalité du terrain.
Ainsi, c’est le capitaine des Eaux et Forêts à la retraite, Djoman Akré, désigné par le conseil des sages à la tête de la chefferie traditionnelle, qui a été cité comme étant le cerveau dans l’affaire «Akoupé Zeudji prépare une rébellion». «C’est un complot contre ma personne. Les treillis qui ont été trouvés chez moi sont effectivement les miens. Ils sont neufs parce que je ne les ai pas portés jusqu’à mon départ à la retraite. En ce qui concerne les munitions de Kalachnikov qui ont été trouvés aussi chez moi, c’est un coup monté pour me discréditer. En mon temps, au service, les Kalachs n’étaient pas encore d’usage. La provenance de ces munitions est à determiner », se défend celui qu’on appelle dans le village le deuxième chef. Il n’y va pas avec le dos de la cuillère pour qualifier son adversaire : «Le chef Aghoussi est indélicat. Il se maintient encore alors qu’il a été destitué depuis. C’est par sa volonté que les Frci sont là dans le village et terrorisent les populations. Il est responsable de tout ce qui est arrivé et de tout ce qui arrivera».
Le vieux Djoman Akré s’estime victime de jalousie à cause des nombreuses actions concrètes qu’il a posées dans le développement du village. Ce qui lui a valu le respect du comité des sages qui voit en lui quelqu’un à même de diriger le village. Il dénonce, à cet effet, «des attaques» contre sa personne émanant de l’entourage du chef. La tension ne faiblit pas entre les deux camps et tous les coups sont permis comme le prouve l’affaire de la prétendue rébellion. Pourtant, dans la succession à la tête du chef du village, les deux protagonistes sont tous deux exclus, le passage de flambeau ayant échu à la génération suivante, comme le veut la tradition. «Vous savez, Akoupé-Zeudji a été érigé en commune. Et donc des gens sont déjà engagés à salir les autres dans le but de se positionner pour les joutes électorales», analyse le capitaine des Eaux et Forêts à la retraite pour qui ce sont des visées politiques qui justifient cette guéguerre.
Comme une prise d’otage
Aujourd’hui avec tout ce qui s’est passé, et toutes les implications de la présence des Frci dans le village natal du Premier Ministre Aké Ngbo, les populations pensent qu’elles sont l’otage des Frci. «Même avec le remplacement à venir du chef, je doute qu’ils acceptent de partir. Parce que même s’ils s’en vont, il est à craindre des attaques sporadiques dont le village pourrait être l’objet», pense le vieux Djoman Akré. Pour lui, il serait sage de les laisser au village, pour mieux les confondre au cas où le village serait l’objet d’attaques…
En définitive, avec tous ces ressorts politico-stratégiques, la situation à Akoupé- Zeudji (qui signifie Akoupé né du sein de Dieu, en langue locale), est empoisonnée pour un certain temps. La méfiance est à son comble quand les jeunes sont l’objet de traque des Frci au-delà des frontières du village. «Ils ont notre liste à PK 18 (où se trouve une autre gare du village). Ils disent qu’ils nous régleront les comptes s’ils nous prennent. Récemment, un de nos frères a été brutalisé, pour s’être aventuré là-bas. Ce qui fait qu’on ne peut plus se rendre à Abidjan en passant par cet axe», révèlent des fils du village, indignés du sort qui leur est réservé du seul fait qu’ils sont du même village que le Premier ministre Aké Ngbo en qui ils disent se reconnaitre.
D’ailleurs, ils n’ont pas manqué de manifester leur solidarité à l’endroit de l’ancien président de l’université de Cocody. Il y a méfiance également des villageois à l’égard de leur «chef», Aghoussi. Qui sera d’ailleurs remplacé dans les jours à venir. A l’analyse, parler d’une révolte des Attié d’Akoupé-Zeudji aura donc été un «traitement excessif et déformé de la réalité des faits qui ont entrainé les événements malheureux», notent les villageois. «Comment un village de ce genre peut préparer une rébellion dans ce contexte actuel? Nos véritables problèmes sont là, qui concernent nos infrastructures de développement», clament-ils.
Il faut parcourir et s’imprégner de la réalité des villageois d’Akoupé-Zeudji pour se rendre compte qu’il n’y a aucune forme de résistance envers les nouvelles autorités. Si résistance il devrait y avoir, les populations Attié de la région devraient la signifier à travers leurs bulletins des votes. Pour démontrer leur attachement ou leur opposition à tel ou tel leader politique en Côte d’Ivoire. C’est leur sens de la décision et leur courage politique qui ont en effet fait rentrer ce peuple du Sud ivoirien dans l’histoire des luttes pour la démocratie au pays d’Houphouët-Boigny.
Par Franck-Harding M’Bra, envoyé spécial