Sénégal-La souveraineté du peuple (re)affirmée!

Publié le par thruthway

http://t2.gstatic.com/images?q=tbn:ANd9GcR1s_oxzb_uSR1PZfeFcNT7kJOk9aSw3Qe8orgfO2E3C07oMMab

Le Sénégal n’a peut-être pas connu son printemps arabe. Mais en ce jeudi 23 Juin 2011, un vent violent et sec a très fortement soufflé sur Dakar, et sur toutes les autres régions du Sénégal. La loi scélérate de l’instauration d’un ticket président-vice-président qui pouvait être élu dès le premier tour avec 25% des voix a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Un combat vient d’être gagné. La bataille quant à elle, ouvre des chantiers encore plus grands. On ose espérer que le message fort qui vient d’être lancé aujourd’hui sera compris par les autorités de ce pays.

Les politiciens sont minoritaires dans ce pays ; mais des patriotes, on en trouve partout. Ce sont ces mêmes patriotes qui ont fait entendre leurs voix, devant la surdité montante des élus. Que n’a-t-on pas accepté ? A quel sacrifice n’a-t-on pas consenti, espérant toujours que les élus entendront raison? Tant de sacrifices que ceux qui n’y ont rien compris ont toujours pris le peuple pour des demeurés, des éternels inactifs. Ce fut une grosse bourde de jugement.

On avertissait déjà à travers ces colonnes et dans le contexte du printemps arabe : « le peuple peut parfois donner le sentiment de dormir ; mais c’est avec une détermination rageuse qu’il peut aussi arracher son pouvoir, recouvrer son du. George Orwell est encore d’actualité ; les portraits de ses nombreux animaux dans la ferme trouvent toujours leurs pendants chez les hommes. La révolte est par excellence une prédisposition de l’homme et c’est par elle qu’on peut clairement voir les parts animales et humaines à l’épreuve. » Les réveils peuvent être brutaux. Un tour chez Ben Ali et Hosni Moubarak peut nous convaincre que seul le peuple est détenteur du pouvoir qu’il délègue à des personnes qu’il aura choisies en toute liberté et toute souveraineté. Les révoltes des peuples sont toujours des révoltes légitimes. En tant que dépositaires, les autorités doivent être en permanence à l’écoute du peuple. Mais ce qu’il nous a été donné de voir ces dernières années ressemble à un sabotage organisé et un pillage savamment orchestré des institutions de la République. Or la marque du Sénégal a toujours été le symbole qu’il représentait et qu’il devait à son histoire, ses institutions et ses nobles gardiens du temple. Que n’a-t-on pas vu, entendu, éprouvé et souffert ces derniers jours ?

En effet, hier, c’était encore les nombreux tripatouillages de la constitution ; Hier, c’était les audits restés vains, et les zones de non-audit ; hier, c’était la révélation de l’achat par le Président de la République d’un terrain de plus d’un milliard. Hier, c’était le show de Deauville ; Hier, c’était Bengahzi ; A quoi faudra-t-on s’attendre ? A tout et à rien. A tout, car, aux sommets de leurs arts, ceux qui nous dirigent ne montrent aucun signe de repentance et de raison. A rien, car on a tellement vu et vécu qu’il serait difficile de nous étonner et de nous surprendre. Mais ce qui est sûr c’est qu’entre le « que nous arrivera-t-il ? » des Argiens et le « que faut-il faire ? » des Achéens, un choix s’impose, qui décidera inéluctablement de ce qui sera notre pays dans les années à venir. Les premières expressions de ce choix ont été dévoilées en ce jour du 23 Juin, car le peuple a réaffirmé sa souveraineté qui a été confisquée par les autorités du pays en tête desquelles le Président de la République. La voie que le peuple veut suivre est celle du respect et de la restauration des principes et fondements démocratiques et institutionnelles. Percevoir un autre message serait une erreur et faire de ces évènements une interprétation politicienne, une bourde fatale.  

Hier, ce fut la traque de ceux qui s’attachent à dire la vérité et la protection des adeptes des ténèbres. Hier, ce fut le culte de la condescendance ; hier, ce fut l’oubli absolu des limites et de la faiblesse des hommes et de leur pouvoir. La prouesse de ce régime c’est de se créer des problèmes inexistants et d’être incapables de trouver des solutions aux problèmes réels. Enfin, hier, ce fut le show inélégant et inopportun de Benghazi. Le sage Epicure nous conseillait de nous détourner des plaisirs inutiles et non-nécessaires ; Avec Benghazi, un autre interdit s’ajoute au tableau, celui des peines inutiles et non-nécessaires !

Hier et Aujourd’hui c’est la répétition de tout ce auquel on avait dit non il y a une dizaine d’années. Hier, c’était Malick Ba de Sangalkam, cet arbre qui cache la forêt d’un projet d’incarcération de notre volonté populaire par l’infâme acte de la redistribution des collectivités locales. De peuple souverain de fait et de droit, nous avons été réduits en vils encaisseurs de coups malsains et immondes. Aliou Ndiaye de l’Observateur a dressé l’analogie de l’acte du Ministre des collectivités locales avec le partage du gâteau de la Conférence de Berlin. Mais je crois qu’il y a encore ici quelque chose de plus moribond, car il y a un phénomène triple: la trahison, le viol et la confiscation. Sangalkam c’est aussi la révélation crue du crime et du mensonge d’Etat, marques de régime totalitaire.

Quand la coupe est pleine, ceux qui l’ont remplie ne peuvent rien augurer. C’est le drame lié à l’hybris: son sujet n’est plus en mesure de juger, encore moins jauger. Pourquoi ? Parce que c’est un sujet « de peu » qui nage dans une insatiabilité qui ne lui permet plus de se retenir. Nos dirigeants en étaient arrivés là. Hélas ! Rousseau, dans Emile (Livre 4), ne croyait pas si bien dire quand il déclarait que les rois ne peuvent éprouver de pitié pour leurs sujets, car ils ne pensent ne jamais être eux-mêmes des sujets. Il faut avoir une mémoire courte et un sens dépravé et inapproprié de l’existence humaine pour penser ainsi, que les destins humains sont figés et donnés une fois pour toutes. Ceux qui nous dirigent ont perdu la tête, leurs projets étant inscrits dans le court terme, et toujours dans le jardin exclusif et restrictif de la jouissance personnelle et personnalisée. Cette jouissance à la carte – un projet individuel qui relègue aux seconds plans les exigences de l’intérêt général – est le propre des régimes qui s’effilochent, mourant lentement de leur propre mort. Ces régimes qui pratiquent l’auto-immunité, pour emprunter cette expression que Derrida a utilisée dans un autre contexte.   

Le chantier de la restauration est encore immense. Car à côté des garanties formelles de la tenue d’élections libres et transparentes, c’est toute une batterie de mesures et de pratiques qui doivent être mise en place pour au moins rétablir la confiance entre le peuple et les élus. Quand le Président Obama s’adressait aux Africains à partir d’Accra, il disait ceci que l’« Afrique n’a pas besoin d’homme forts, mais d’institutions fortes. » Cependant, le message qu’il a laissé transparaître entre les lignes, c’est que ces institutions fortes doivent être mises en place par des hommes forts, soucieux seulement de la bonne marche de leur peuple vers des lendemains surs, sereins, et meilleurs. Dans le processus de la mise sur pied d’institutions fortes, trois choses seront essentielles : des hommes forts, le dialogue et la concertation, le projet de servir l’intérêt du peuple.

Le message que vient de lancer le peuple sénégalais doit être entendu par les élus dont la réponse ne devrait être pas moins que l’adoption de mesures concrètes et immédiates allant dans le sens de la consolidation des acquis démocratiques et l’ouverture de nouveaux chantiers – comme celui de la séparation effective des pouvoirs – qui viendront enrichir notre capital institutionnel. Cela prendra du temps certes ; mais le coût de la démocratie n’a pas de prix. Et ce qu’il faut surtout éviter c’est la chasse aux sorcières et les envolées rhétoriques politiciennes qui effleureront les problèmes sans adresser les réelles questions. Ce qu’il faut éviter c’est de jouer avec le temps pour inventer des subterfuges qui s’avéreront à la fin inopérants. Ce qu’il faut éviter, enfin, c’est penser que suivre le peuple serait un signe de faiblesse. La grandeur d’un homme ne se mesure pas dans le fait qu’il ne commet pas de fautes ; mais seul est grand celui-là même qui est capable de reconnaître sa faute pour se donner les moyens de ne plus la commettre.

Message ne saurait être plus clair que celui d’hier. Et les auteurs de ce message ne sont personne d’autre que ceux qui avaient rempli les stades en 2000 pour fêter l’investiture du troisième Président du Sénégal. Ce sont les mêmes hommes qui ont marché avec l’opposition, sous le soleil ardu ; ceux qui ont bravé les coups des forces de l’ordre ; ceux qui ont croupi dans les prisons ; ceux qui ont sacrifié leurs vies pour la dignité du peuple. Ces hommes n’ont pas changé, leur ambition et projet de société non plus. Ce qui s’est profondément métamorphosé c’est la manière dont leurs biens ont été managés et leurs destins conduits. Il n’est peut-être pas trop tard d’accéder aux demandes du peuple, pourvu que prévalent la sagesse et l’amour de la patrie!

 

Par Dr. Cheikh Mbacké GUEYE 

Publié dans International

Commenter cet article