Au pays des faux-semblants, tout le monde sa médaille du mérite ! Décryptage du discours de Ouattara

Publié le par thruthway

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Je viens de lire le discours d’Alassane Ouattara écrit pour le 7 août. Certains l’ont décrit comme un discours versant dans le religieux, rappelant la manière d’écrire du président Gbagbo.

Ouattara étant la créature de l’Occident et particulièrement de la France, je ne pense pas que Monsieur Sarkozy aurait pu écrire ce discours, ou le faire écrire par son « nègre » en écriture Guéno! Car en France, du fait de la séparation de l’Église et de l’État, un tel discours ne pourrait être tenu par un homme politique, tellement il est proche d’une homélie, d’une homélie « profonde dans le sens du creux », et non d’un discours politique classique !

Alors que Ouattara semble prendre son avion tous les soirs pour « rentrer » au Sénégal, n’ayant pas confiance en l’hospitalité ivoirienne légendaire, il verse dans le sentimental, à tout bout de paragraphe : « mes chers compatriotes » (deux fois), « chères sœurs, chers frères » (trois fois), voulant évoquer une proximité qui n’existe que dans la « chaleur » du langage, mais complètement absente dans la réalité nue d’un homme qui passe son temps en tournées à l’étranger. En fait il fait plus penser à un orateur qui essaie de plagier un prédicateur charismatique qui aurait été engagé pour réveiller, encourager, dynamiser des fidèles, ses derniers fidèles, qui se font rares, car sans revenir sur le détail des résultats électoraux de novembre, il doit convaincre ou plutôt séduire la moitié des troupes restées loyales à Laurent Gbagbo et regagner les déçus de son propre camp qui semblent légion ! Soit beaucoup de monde !

Le problème, c’est que les ivoiriens n’ont pas besoin de télévangéliste qui leur parlerait de recueillement ,de prière, de repos de l’âme des disparus, de souvenirs des victimes dans le cœur et l’esprit, de la beauté de la réconciliation en citant, un trémolo (plutôt qu’un sanglot) dans la voix « Terre d’espérance » et « Patrie de la vraie fraternité »

Alors que les richesses de la Côte d’ivoire filent à la vitesse grand-V hors du pays, les Ivoiriens ne s’émouvront que très peu en s’entendant appeler par leur président-préfet : « Vous, la plus grande richesse de notre pays ! ». Dans la bouche d’un autre cela aurait pu faire chaud au cœur, mais dans la bouche de Ouattara, ce n’est malheureusement qu’un triste constat : la seule richesse qui demeure, alors que tout a été bradé et donné à Saint- Nicolas, ce sont les mains et l’ouvrage des ivoiriens qui vont travailler pour un salaire de misère afin que la France et l’Occident puissent continuer de mener leur train de vie habituel !

Alors que tout est à reconstruire, que les exilés ont tout perdu, et que d’autres se sont installés chez eux, dans leurs maisons et leurs plantations, que les Frères Cissé continuent de se livrer au racket, à la violence, au rapt et au viol, que les étudiants n’ont plus d’universités ni de professeurs ni de bourses d’études, que les commerçants ont tout perdu, Ado nous parle « d’héritage des pères fondateurs », "de « souveraineté nationale », de « retour à la démocratie », « d’espérance », de « vraie fraternité », de « valeurs », de « ferme conviction », de « nouvelle espérance », de « jouissance des fruits du travail » (et non du fruit ! )… Grâce aux nouveaux chefs de l’armée « qui veillent nuit et jour à la sécurité des personnes », l’avenir s’annonce radieux pour les ivoiriens !

Et puis le Président Ouattara ayant connu l’exil –certes dans des hôtels particuliers en France- est à même de comprendre la souffrance des exilés d’aujourd’hui ! Comment se laisser entrainer à la douce complainte de l’ancien exilé qui « ne souhaite à aucun ivoirien de connaitre l’exil », alors que le président Gbagbo et les siens sont justement en exil, exilés par ses soins, et qu’il ne les mentionne même pas lorsqu’il parle de la mise en œuvre de la réconciliation et de la justice !

Après avoir énuméré ceux qui ne sommeillent ni ne dorment, les anges gardiens de Côte d’Ivoire, -les frères Cissé et la nouvelle police et gendarmerie qui n’a pas su rassembler plus de 20 pour cent des corps habillés de Gbagbo-, Ouattara encourage ses concitoyens : « Je veux vous rassurer : n’ayez plus peur. » ! Surprenant de candeur ! Ouattara prêche pour lui-même, il a besoin de se convaincre de ce qu’il professe ! Il a besoin d’évoquer la peur, l’insécurité des autres, pour masquer la sienne et se rassurer, lui qui quitte chaque soir cette Côte d’Ivoire si chère à son cœur ! Ici encore le prédicateur Ouattara ne convainc pas ses ouailles par ses vœux pieux ! L’insécurité, les arrestations arbitraires, le racket, sont toujours d’actualité !

Depuis le 11 avril, date à laquelle Ouattara est sorti du Golfhôtel par la grande porte, le chemin parcouru, -si l’on s’en tient au seul discours d’indépendance- est une traversée de chantiers, « bientôt, c’est toute la Côte d’Ivoire qui sera en chantier », il n’y a rien de concret, après quatre mois, il formule le souhait « qu’ensemble nous construisions cette nouvelle espérance. » phrase bizarre, on s’adosse à une espérance pour construire sur du dur, du concret ! Encore du profond dans le sens du creux ! C’est l’espérance qui met en mouvement pour bâtir ! Elle doit être là au départ, elle ne s’acquiert pas s’il n’y a pas au départ une base solide de confiance en celui qui nous gouverne !
Ce 7 août 2011 doit être « le point de départ d’une Côte d’Ivoire nouvelle », les quatre mois écoulés sont certainement encore à verser à l’actif « négatif » du Président Gbagbo ! « Une nouvelle ère s’ouvre à nous. Une ère de croissance et de prospérité. » Après le 11 avril, les ivoiriens ont cru que la nouvelle ère commençait à la date de l’intronisation anticonstitutionnelle, le 21 mai, maintenant ils découvrent que la nouvelle page s’écrit à partir du 7 août 2011 !

« En commémorant l’accession de notre pays à la souveraineté nationale, nous célébrons également le retour de la démocratie en Côte d’Ivoire », Ce n’est ni le prédicateur, ni l’homme politique qui parle, mais l’historien révisionniste, qui n’a pas peur d’évoquer le retour à une vraie démocratie,- bafouée par son prédécesseur !- alors que le multipartisme existait et que la presse était libre, en toute impunité, de s’en prendre au « boulanger » Gbagbo !

« Bientôt », « vous verrez », « mes promesses », « vous aurez », « les investisseurs ont le regard tourné », « très bientôt », « vous sentirez »… A la fin de son discours, Ouattara se projette dans l’avenir mais le bilan de presque quatre mois de gouvernance reste théorique : en quatre mois pas le moindre signal de relance, de reprise effective des affaires pour la Côte d’Ivoire. Le président se contente de parler du secteur tertiaire, improductif par définition : « Le gouvernement est à la tâche. Il travaille à réduire vos souffrances » suivent moultes descriptions : « Je tiens à ce que chaque habitant de notre cher pays puisse vaquer librement et en toute sérénité à ses occupations et jouir des fruits de son travail en toute quiétude. Je tiens à ce que chacun d’entre vous puisse vivre en paix, car sans paix, sans sécurité, il ne peut y avoir ni réconciliation, ni développement solidaire. » 

En d’autres termes réconciliation et développement solidaire ne sont pas encore à l’ordre du jour puisque les conditions préalables ne sont pas encore remplies. Je suis surprise par l’emploi de certaines expressions : sans travail et sans salaire, comment peut-on « vaquer à ses occupations ? »

Rien n’est dit sur la relance économique, les salaires impayés des fonctionnaires, les indemnités des chômeurs, les bourses des étudiants, les payes de la main à la main des militaires et assimilés si ce n’est que ce bon Alassane veut que les ivoiriens « jouissent des fruits de leur travail » Mais en fait, il ne fait que brosser, lustrer le cadre d’une Côte d’Ivoire imaginaire, figée, fantomatique !, La vraie Côte d’Ivoire, exsangue, foulée aux pieds de l’Étranger n‘est pas évoquée, Ouattara se contentant de banalités et de mensonges à peine déguisés quand il évoque la liberté de la presse : « Depuis la fin de la crise, la vie reprend progressivement son cours : les activités économiques redémarrent, la vie sociale s’anime à nouveau, la presse fonctionne dans toute sa diversité. » 

Et que dire du « développement solidaire », pauvre plagiat du « commerce équitable » associatif, destiné à améliorer concrètement la situation des producteurs des pays en voie de développement, qui permet de payer un peu plus les producteurs, et qui dans la bouche de Ouattara se réduit à de vagues opérations de replâtrage destinées à mieux renforcer les acquis d’un système colonial corrompu. Petite solidarité mais peu de développement, le pétrole, le café et le cacao-pour ne citer qu’eux- n’étant pas manufacturés sur place! Même les bus, un des fleurons de la Côte d’Ivoire, au bénéfice d’un bombardement français en avril dernier, doivent être maintenant importés de France !

L’accent est mis sur l’amélioration du « cadre de vie » et de « l’environnement », du » ramassage des ordures » et l’embellissement de la ville, à coup de bulldozers qui détruisent le dernier peu des plus pauvres !

« Santé gratuite » le plus tôt possible, donc dans un avenir incertain pour l’ivoirien qui a besoin de soins maintenant !

« Nous travaillons à la réhabilitation et à la réouverture de nos universités », en attendant, il n’y a plus rien, si ce n’est des cités universitaires transformées en lupanars et casernes de FRCI. Pourquoi Alassane n’a-t-il pas parlé de la rentrée universitaire d’automne 2011 ?

« Les travaux d’assainissement » –intervention des bulldozers- ont exproprié des ivoiriens, mais qu’est-ce en face du « grave danger que sont les inondations » ? En fait Alassane est un grand humaniste, comme le président Sarkozy en Côte d’ivoire puis en Libye, il intervient pour « sauver des vies humaines » !

La » construction du troisième pont » devient une priorité parce que c’est un grand chantier pour les multinationales françaises, construction bien plus urgente que la reconstruction des logements détruits et la réhabilitation des universités et entreprises sinistrées.

Œuvrons pour « Une Côte d’Ivoire dotée d’un État fort, moderne et impartial, avec des Institutions crédibles ; un État qui respectera l’indépendance de la justice, qui luttera contre l’impunité et fera la promotion du mérite et de la compétence. » Dernier paragraphe de Ouattara, le plus essentiel certainement puisqu’il reprend et mène à son apothéose ce discours ! Un « État fort », soutenu, voire porté par le conseiller militaire français, l’ambassadeur de France et le 43 ème Bima-, des institutions crédibles, lesquelles ?-, puisqu’il ne peut s’agir du Conseil Constitutionnel, du ministère de la Justice, dépossédés de leurs attributs…-, médailles du mérite distribuées largement à pour tous les anti-Gbagbo …

Bref, un État de pacotille, où le discours tient certes la route, mais à la façon de ces bus rescapés dont le délabrement vient de contribuer à endeuiller tous les ivoiriens d’Abidjan

source : Shlomit Abel

Publié dans Actualités politiques

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