Les insinuations malhonnêtes d’Ibrahime Sy Savané

Publié le par thruthway

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Je n’ai pas attendu la fièvre publicitaire qui s’est emparée d’Ibrahim Sy Savané ces derniers temps avant de lire son dernier livre. C’est la même curiosité intellectuelle qui a poussé un de mes maitres à arracher ce livre au rayon du libraire qui me poussa à le lui arracher pour savoir ce que pouvait bien vouloir raconter le ministre le plus nonchalant, le plus taciturne et le plus discret de tous les gouvernements de Côte d’Ivoire. Ces qualités m’avaient d’ailleurs fait penser qu’il était à coup sûr le ressort de la rationalité entre la sauvagerie d’une rébellion et la mesure d’un régime démocratique pris dans le tourbillon des vents contraires.

 

Même fiché comme appartenant au camp des rebelles, l’idée qu’il tenait ce rôle de modérateur me remplissait d’une certaine admiration pour ce personnage qui, pour moi, avait compris, comme Aristote, que la vérité se trouve dans le juste milieu. Malgré les passions diverses qui peuvent tous nous animer dans nos querelles de tranchées, nous savons, et il nous arrive d’admirer les personnes qui nous rappellent toujours comme Hegel que « le vrai, c’est le tout » et non le partiel, le partial et le partisan. Ceci étant dit, cinq bonnes heures de lecture m’ont suffi pour avaler « D’espérance et de douleurs vives : au cœur de la tourmente ivoirienne » comme on avale un comprimé amère. La déception s’est pointée au rendez-vous. Par où commencer ? Je commencerai par les angles qu’il choisit ou bien qu’on choisit à sa place pour faire la communication autour du livre. Et je finirai certainement par le décryptage d’une personnalité normale abonnée à la mystification comme mode d’existence. 


Ibrahim Sy Savané croit nous apprendre quelque chose en rapportant ceci : «Moi, j’ai trois niveaux de langage, je peux avoir le langage châtié du latiniste que je suis. Je peux aussi utiliser le langage intermédiaire que tout le monde comprend. Mais si on me cherche, je peux aller dans les échanges terre-à-terre » le président n’ajouta pas qu’un de ses ami, feu Bernard Ahua, appelait ce langage de rupture le tamerconnisme. Si la langue résume l’homme, il faut convenir en effet que coexistaient plusieurs Gbagbo ». De là, il était loisible pour l’auteur de dire dans sa campagne de communication sur RFI que « Laurent Gbagbo a une personnalité complexe…sous certains aspects, il peut être extrêmement humain, charmant même. » Et il ajoute plus tard, sur la base d’une confidence à lui faite par un proche compagnon de Gbagbo: "mais c’est aussi un parrain de la pègre, un Don Corleone, qui n’avait qu’à pousser une colère vive contre quelqu’un pour que ce dernier soit victime d’un escadron de la mort. " 


Premièrement Sy Savané connait-il quelqu’un qui a une personnalité simple, c'est-à-dire qui n’est fait que d’une seule trame et qui ne joue qu’un seul rôle dans sa vie ? Eh bien, s’il y en a, il est tout simplement borné. Comme un animal sauvage, soumis à la seule loi de l’instinct, son comportement est cernable et maitrisable comme on maitriserait un objet. Un homme qui a un peu de culture est un homme qui a appris l’art de se fondre dans la diversité et de s’y retrouver. La complexité de la personnalité de Gbagbo dont parle Monsieur Sy est donc un trait de sa culture politique et de son intelligence qui font de lui l’un des plus grands hommes politiques de notre temps. Si la politique est l’art de conduire les hommes et que l’intelligence est la capacité à s’adapter à toutes les situations, il faut avoir la culture et l’intelligence de plusieurs niveaux de langue pour parler à une population hétérogène. Le reste de ce qu’il ajoute sur la complexité de la personnalité du président Gbagbo est une enfantine tentative de manipulation de l’opinion : « Oui! Il est très bon, très gentil, je suis même surpris qu’il soit autant bon avec nous ses ennemis, il n’y a personne aussi humain que lui, mais on m’a dit que quand il se fâche contre quelqu’un, il peut mourir ». Apparemment ce genre de propos n’élève pas son auteur. S’il suffisait à Laurent Gbagbo de piquer une crise de colère pour que ses ennemis disparaissent, pourquoi n’a-t-il pas usé d’un tel pouvoir pour se mettre à l’abri des dardes de ses ennemis ? C’est aussi là un autre niveau de la complexité de la personnalité de l’homme que monsieur Sy peut difficilement comprendre. Lui qui est surpris que le président Gbagbo le porte dans son cœur alors qu’il est convaincu qu’un ennemi comme lui devrait être détesté. 


Deuxièmement, Sy savane appâte certainement les potentiels clients de son livre en faisant croire que celui-ci révélerait les raisons pour lesquelles Soro Guillaume aurait lâché Gbagbo. Apparemment ce n’est pas malin parce que personne ne se lèverait pour ça. C’est une question de bon sens. Soro Guillaume n’a jamais été avec Gbagbo. Personne n’oserait penser se faire du sou sur « Pourquoi Blé Goudé a lâché Dramane Ouattara ». En revanche, s’il y avait des raisons honnêtes qui ont poussé Soro à rebasculer dans la guerre pour solder un contentieux électoral, nulle part le cher Sy n’en parle. Car il sait dans son for intérieur qu’honnêtement un démocrate use toujours de voies démocratiques pour atteindre ses fins. Si ce sont les valeurs démocratiques qui guidaient les actions de Soro et qui faisaient en sorte qu’il aille, selon Sy, de Gbagbo à Dramane, il n’aurait jamais pris les armes contre le premier qui a été élu démocratiquement en 2000 et il ne se serait pas engagé dans une guerre contre quelqu’un qui appelait simplement à recompter les voix.


Pour revenir au livre, après l’avoir lu, voici ce que j’ai répondu à chaud, à la question « Qu’est-ce que tu en penses ? » de mon maitre : « J'ai avalé le livre comme on avale un comprimé. A la différence que j'avais l'impression de m'empoisonner. Dans le même temps je n'ai pas trouvé inutile de découvrir le mécanisme de réflexion de ceux d'en face. Il faut suffisamment prendre du recul réflexif pour se dire qu'on est dans la posture de quelqu'un qui se regarde dans un miroir. Nous pouvons tous écrire des témoignages et donner dans la facilité de blanchir les mentors, faire des insinuations tendancieuses pour salir la moralité de l'adversaire surtout quand on n'a ni les preuves, ni le courage d'assumer les rumeurs manipulatrices qu'on reçoit sur lui. Sy Savané est un alassaniste tout comme moi je me réclame gbagboiste. Rien ne me permet donc objectivement de lui contester sa lecture de notre histoire récente. Apparemment sa perspective est totalement différente de la mienne. Nous n'avons pas la même position. Là où je suis quelque peu révolté, c'est que nous oublions souvent que la conscience que tout est relatif est déjà le début d'une certaine objectivité et d'une certaine profondeur.

 

L’intellectuel doit cultiver le don d’ubiquité. Cela permet de comprendre que le vrai, c'est le tout. L’œuvre de Sy Savané est un ramassis de vues de quelqu'un qui ne bouge pas de sa position. Même quand il donne l'impression d'être séduit par l'adversaire, il n'oublie jamais qu'il est en guerre au compte de la suprématie de son clan. Ce qui aurait donc pu servir la cause de l'ennemi est tourné en insinuation tendant à le dépeindre comme une personne à la moralité douteuse. Et quand la vérité est flagrante, soit il use d'omissions, soit il trouve une autre aventure beaucoup moins plausible pour semer le doute à coté des certitudes. C'est le cas de la batterie de sondages qu'aurait faite Choi, comme si l'Onuci était devenu un institut de sondage, pour remettre en cause tous les sondages qui donnaient Gbagbo vainqueur. Il a même poussé le ridicule jusqu'à se convaincre que les “ marabouts ” de Soro avaient déjà prédit la “ victoire ” de Dramane Ouattara. C’est un déni d'objectivité dans un livre qui en avait la prétention. Bref. Le livre est truffé de trop de sujets qui ne feront jamais l'objet d'une discussion de fond. L’auteur contourne à dessein les questions de fond parce qu'il est toujours dans la posture de l'avocat de son clan. J’ai cru entendre qu'il est un mercenaire...» 


En définitive ce que je comprends après avoir fait le tour de toutes les questions sur ce livre, je me suis rendu compte qu’en voulant psychanalyser les autres, Sy Savané s’est ouvert comme un livre pour nous livrer les méandres de son esprit. C’est un homme de peu de courage embarqué malgré lui dans une histoire de violence politique. Il raconte dans le livre comment il a été recruté par Soro Guillaume. Il n’a pas hésité pendant longtemps parce que la fibre ethnique a bien plus vibré qu’autre chose à cet instant-là. Il s’est certainement dit qu’il ne pouvait pas ne pas répondre à l’appel du clan et de la Charte du nord. Ce qu’il appelle amour de la part de Gbagbo, n’était en fait que de la condescendance face à un homme victime de ses propres contradictions. Et ce qu’il n’aime pas chez le Président Gbagbo, malgré tous les boniments qui cachent mal une haine viscérale pour quelqu’un qui s’est formé selon lui à la dure, c’est ce qu’il se reproche inconsciemment de ne pas pouvoir être : un homme courageux et responsable. C’est peut-être cela qui vaut le détour.

 

En effet, pendant que le président Laurent Gbagbo, face à l’adversité, résistait avec le peuple de Côte d’Ivoire en restant à la présidence de la République avec toute sa famille, sous le bombardement d’une coalition d’armées hétéroclites, Ibrahim Sy Savané s’est faufilé entre commandos invisibles et armées loyaliste pour se mettre à l’abri dans un hôtel en France. Laissant femme et enfants dans le brasier d’Abidjan. L’ironie a voulu qu’il fasse, lui aussi, l’expérience psychosomatique de sa couardise à travers ce malaise indescriptible qui s’est emparé de lui dans les draps douillets d’un palace parisien. 



Joseph Marat 

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