Gel des avoirs, Constitution violée, résidence surveillée, les incohérences juridiques du camp Ouattara

Publié le par thruthway

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M. Serge-Stéphane Silué est juriste-consultant dans une grosse entreprise de la place. Comme bien des Ivoiriens, il est outré et ne sent plus bien dans sa peau quand il observe les rapports qu’entretient le nouveau pouvoir avec la justice. La Constitution est constamment violée comme le sont de nombreuses femmes dans les villes, villages et campement de notre pays, les Codes de procédure pénale et civile sont piétinés, bref ! la justice est instrumentalisée pour servir une cause hautement politique.

 

Prenant comme élément de base d’un travail scientifique qu’il nous propose sur le gel des avoirs des fonctionnaires ivoiriens ayant travaillé avec le régime renversé du Président Laurent Gbagbo, le juriste-consultant démonte cet affreux montage et demande que justice soit faite le plus tôt possible.


Depuis la prise de pouvoir de M. Dramane Ouattara, la Côte d’Ivoire vit une nouvelle ère démocratique. L’exigence démocratique fondée sur le respect du droit, connaît une forte perturbation, pour ne pas dire qu’elle est pratiquement inexistante. Le recours à la justice normative a fait place à une justice extra judiciaire où l’exécution sommaire et toute sorte de voie de fait sont devenues l’apanage des hommes en arme. C’est à cette gouvernance de non droit que le procureur de la République tente d’apporter un vernis juridique.

 

Malheureusement, le constat qui se dégage c’est que celui-ci n’ayant pas appris quelque cour d’esthétique, applique mal le vernis qui n’arrive pas à cacher la dictature des armes. Depuis sa nomination, le procureur de la République pose différents actes dans le but, semble-t-il, de poursuivre les auteurs des infractions commises par le régime Gbagbo depuis les élections du 28 novembre 2010. Parmi

 

ces actes, on retrouve les deux réquisitions faites aux banques portant «empêchement de tous mouvements financiers sur les comptes » et «interdiction jusqu’à nouvel ordre de toutes transactions sur les actions et obligations et autres titres détenus » par certaines personnes.

 

Au regard de la persistance de l’utilisation de cette procédure, il y a lieu de s’interroger sur la légalité de cette procédure, et sur les raisons qui la sous tendent à savoir «avoir pactisé avec le gouvernement de Gbagbo alors que cela était interdit».

I-Le droit de réquisition

La réquisition est une pratique vieille de plusieurs siècles, c’est pourquoi il convient d’en donner la définition et voir dans quel contexte elle était utilisée(A) et son évolution (B).

A-Définition et contexte historique de la réquisition

1-définition


Selon le «dictionnaire de la Culture Juridique », c’est «en 1180 qu’apparaît le mot ‘requête’ emprunté du latin requisitio. On note deux sens :


1/ requête à un Tribunal ou à une Administration.


2/ à partir de 1793 : opération unilatérale par laquelle l’autorité administrative (autorité civile ou militaire) contraint une personne physique ou morale, qui sera ultérieurement indemnisée, à fournir, soit à elle-même, soit à des tiers, des prestations de service, l’usage de biens immobiliers ou la propriété ou l’usage de biens mobiliers, en vue de la satisfaction de besoins exceptionnels et temporaires reconnus d’intérêt général dans les conditions définies par la loi » ( Denis Alland et Stéphane Rials « Dictionnaire de la Culture Juridique » p.1339). Comme on peut le constater, des deux définitions celle qui recueillera une attention particulière sera la deuxième. Elle cadre bien avec les actes que nous essayons de soumettre à la censure du droit. De la définition de la réquisition nous pouvons relever quelques caractéristiques:

-c’est une opération unilatérale de l’administration 

-une opération par laquelle l’autorité administrative contraint une personne physique ou morale ;


-l’indemnisation ultérieure de la personne


-il s’agit de la satisfaction de besoins exceptionnels et temporaires reconnus d’intérêt général dans des conditions définies par la loi.


Ce sont ces caractéristiques qui ont accompagné l’évolution de la notion jusqu’à nos jours de sorte que la réquisition est réglementée dans son usage.

2-Contexte historique

Traditionnellement, la réquisition est liée aux missions régaliennes de l’Etat, notamment la garantie de la sécurité de la nation. C’est pourquoi, dans l’ancien temps, la réquisition était l’apanage de l’armée. L’on réquisitionnait les récoltes pour l’approvisionnement des troupes où des logements pour accueillir les soldats lorsqu’ils étaient de passage dans une localité. Il faut signaler qu’à cette époque, la réquisition ne donnait pas lieu à indemnisation.


Mais elle va connaître un coup d’accélération avec les guerres en Europe, marquant ainsi son évolution.

B- l’évolution de la notion à partir du Décret du 23 août 1793 en France

La pratique de l’utilisation de la réquisition par l’armée avec les guerres, était devenue courante. Aussi des voix s’élevaient pour dénoncer certaines dérives. Les plus critiques de celles-ci étaient les philosophes de la Lumière qui condamnaient cette pratique, parce qu’ils y voyaient la violation des droits et des libertés individuelles. Cette situation verra apparaître en France de nombreux textes, dont les plus significatifs sont : le Décret du 23 août 1793 ; la loi du 03 juillet 1877 ; la loi du 11 juillet 1938 modifiée par l’ordonnance du 06 janvier 1959.


A partir de ces lois, la Réquisition pouvait intervenir désormais dans un cadre réglementé. La satisfaction des besoins militaires va s’accroître avec les deux guerres mondiales. Cependant, la Réquisition n’acquière pas encore un caractère permanant, mais était utilisée «lorsque les circonstances l’exigent».

Avec la loi du 11 juillet 1938, apparaît les réquisitions civiles. Cette loi sera plusieurs fois modifiée, notamment par l’ordonnance du 06 janvier 1959, selon laquelle les réquisitions peuvent être décidées «pour assurer les besoins du pays ».
A partir de ce moment, la réquisition va acquérir un caractère permanant, parce qu’elle n’était utilisée que lorsque les circonstances l’exigeaient. C’est pourquoi aujourd’hui, la réquisition peut avoir pour objet des entreprises, des services ou des personnes.


Tout récemment, le gouvernement du Président Laurent Gbagbo réquisitionnait en février 2011, la BCEAO nationale et tout le personnel à l’effet de continuer de fonctionner, malgré les injonctions du siège qui demandait sa fermeture. C’est par décret que cette mesure a été édictée, et elle a été prise pour une période de trois mois, qui pouvait être renouvelée. Mais toujours est-il qu’elle a été limitée dans le temps. Autre mesure de réquisition prise par le gouvernement du Président Laurent Gbagbo, est celle qui concernait les médecins qui ont déclenché une grève illimitée sans un service minimum. Par décret, les médecins en service et tous ceux qui étaient à la retraite ont été réquisitionnés, pour «les besoins du pays». Comme nous le voyons, la notion de réquisition a connu une réelle évolution.

Toutefois, elle est prise en cas de crise grave ou d’apparition d’évènements graves. C’est en cela qu’elle se différencie de l’expropriation, qui peut être utilisée à tout moment, il suffit que la procédure qui la réglemente soit observée. Autre différence avec l’expropriation, c’est que lorsque l’Etat réquisitionne un bien privé, le bien ne devient pas sa propriété, ce bien retourne dans le patrimoine de la victime de la réquisition, laquelle peut être indemnisée après. Dans l’expropriation, l’Etat indemnise d’abord et le bien reste désormais sa propriété. Mais les deux notions ont en commun qu’elles sont utilisées pour la satisfaction d’un intérêt général. A supposer qu’il y ait une catastrophe dans la région de Man, que des volcans situés sur plusieurs montagnes se sont mis en éruption de sorte que la vie est impossible dans la région. Pour l’évacuation de la population vers un autre lieu, le gouvernement ivoirien va, par un décret, réquisitionner par exemple, les cars de transport des sociétés UTB et STB. Ce sera une mesure temporaire, à la suite de laquelle, les transporteurs seront indemnisés, mais les cars restent toujours leur propriété.

Comme expliqué plus haut, nous voyons que la réquisition est l’affaire du pouvoir exécutif, qui peut aussi la déléguer par une loi aux collectivités territoriales comme les préfets et les maires en France. Cette réquisition est-elle la même que la réquisition judiciaire ? Le Procureur de la République peut-il prendre une réquisition pour saisir les biens de citoyens sans que cela ne constitue une violation de la loi ? Ou alors, quand une autorité judiciaire peut-elle saisir par une décision les biens d’un citoyen ?

II- La réquisition du procureur de la République : une mesure illégale

Le procureur de la République près le Tribunal de Première Instance d’Abidjan a, par une réquisition faite aux Banques, gelé les comptes de certains citoyens ivoiriens pour, semble-t-il, nécessité d’enquête. Cette mesure qui fait la UNE de l’actualité est-elle légale ? Le procureur de la République est-il compétent pour prendre une telle mesure ?

A- De l’incompétence du procureur de la République à prendre la réquisition querellée.

Le procureur de la République a donné une base juridique à sa décision, et nous pouvons le constater à travers les visas qui ont été énoncés à la tête de la décision.
Le premier visa qui, selon le procureur de la République, l’autorise à prendre une telle mesure est :


- Vu les articles 41, 74 et suivants du code de procédure pénale.


L’article 41 se trouve dans le Chapitre II du Titre Premier, et précisément à la section 3 qui traite «des attributions du procureur de la République et des juges de section de tribunaux». Quant à l’article 74 et suivants, ils se localisent dans le chapitre II du Titre II, et parle de «l’Enquête Préliminaire». L’article 41 dispose que «Le procureur de la République procède ou fait procéder à tous les actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions à la loi pénale.

 
A cette fin, il dirige l’activité des officiers et agents de la police judiciaire dans le ressort de son tribunal.

 
En cas d’infractions flagrantes, il exerce les pouvoirs qui lui sont attribués par l’article 67 ».


Pour une meilleure compréhension de la démarche, nous allons donner le contenu des autres articles pour permettre au lecteur d’avoir une compréhension générale.

 
L’article 74 nouveau : «Les officiers de police judiciaire, soit sur les instructions du procureur de la République, soit d’office, procèdent à des enquêtes préliminaires. Ils entendent notamment toutes personnes susceptibles de fournir des renseignements sur les faits et obligatoirement, toutes celles qui se prétendent lésées par l’infraction.
Ces opérations relèvent de la surveillance du Procureur général ».

Article 75 : « Les perquisitions, visites domiciliaires et saisies de pièces à conviction sont faites en présence du prévenu, et s’il ne veut ou ne peut y assister, en présence d’un fondé de pouvoir qu’il pourra nommer ou de deux témoins.


Les objets lui sont présentés, à l’effet de les reconnaître et les parapher. S’il y a lieu, en cas de refus, il en est fait mention au procès verbal dont copie lui est remise.
Les formes prévues par les articles 56 et 59 sont applicables».


Article 76 : «Si, pour les nécessités de l’enquête, l’officier de police judiciaire est amené à garder à sa disposition une ou plusieurs personnes contre lesquelles existent des indices de culpabilité, il ne peut les retenir plus de quarante-huit heures.

Le procureur de la République peut accorder l’autorisation de prolonger la garde à vue d’un nouveau délai de quarante-huit heures».

L’article 41 donne des pouvoirs au procureur de la République, en vue d’accomplir certaines tâches. Et le même article dit quelles sont les missions qui lui sont confiées, à savoir «procéder ou faire procéder à tous les actes nécessaires». Mais quels sont les buts de cette mission pour laquelle le législateur lui donne ces pouvoirs ? C’est la «recherche et la poursuite des infractions pénales». En demandant au procureur de la République «de procéder ou faire procéder à tous les actes nécessaires», le législateur a voulu le doter des moyens conséquents pour constater la violation de la loi pénale et permettre que les auteurs soient sanctionnés. Pour éviter tout abus, le législateur a prévu le champ d’action de l’exercice de ces pouvoirs. La recherche et la poursuite de l’infraction s’exercent selon la procédure de l’Enquête préliminaire ou de l’Enquête de flagrance. C’est d’ailleurs ce pourquoi le procureur de la République, cite ensemble l’article 41et les articles 74 et suivants, parce que ces articles parlent de l’enquête préliminaire.


Le procureur de la République à utilisé l’article 41, dans le cadre d’une enquête préliminaire. Mais pouvait-il, dans le cadre cette enquête préliminaire, réquisitionner les comptes bancaires d’honnêtes citoyens ? Les articles 74 et suivants lui donnait-il pouvoir de le faire ?


L’examen des textes ci-haut cités nous commande, pour une bonne compréhension, de définir l’Enquête préliminaire. Selon Merle et Vitu (Traité de Droit Criminel : Procédure Pénale, édition CUJAS, 4ème édition pp.303-304) « l’Enquête préliminaire se définit comme une procédure de caractère policier, diligenté d’office ou sur les instructions du parquet par un officier de police judiciaire ou un agent de police judiciaire». Il faut comprendre par cette définition que lorsque vous formulez une plainte contre quelqu’un à la police, à la gendarmerie, ou devant le procureur de la République, la police ou la gendarmerie, fait une enquête pour savoir si les faits pour lesquels vous avez formulé votre plainte sont exacts. Elle procèdera à des auditions,

à des actes de vérification. Quand les investigations vont finir, elle va dresser un procès verbal de l’ensemble de ses constatations et va transmettre le procède verbal au procureur de la République. Si le procureur de la République estime que les faits sont constitutifs d’une infraction à la loi pénale, il décide de poursuivre. C’est cette période qui précède la poursuite qui est appelée Enquête préliminaire.


Dans cette période, le procureur de la République peut poser tous actes nécessaires à la manifestation de la vérité sur les faits dénoncés. Quels sont les actes qu’il peut poser ou que les enquêteurs peuvent poser ?


D’abord «ils entendent toutes personnes susceptibles de fournir des renseignements » (Article 74 al1). Ils peuvent faire des perquisitions, des visites domiciliaires et saisies de pièces. (Article 75). La perquisition consiste en la fouille d’un magasin, d’un bureau ou d’un entrepôt, et même d’un domicile à la recherche d’éléments pouvant permettre d’établir la constitution d’une infraction. Il ne s’agit ici que de la recherche de pièces ou tous éléments justifiant la plainte. Mais à quel moment intervient la réquisition ?


Les textes qui ont été cités ne disent pas de façon expresse que le procureur de la République réquisitionne telle ou telle personne. Dans notre droit positif, c’est l’interprétation de l’article 41, par le terme «tous actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions à la loi pénale », qui autorise l’usage de la contrainte par des réquisitions. Donc par ce texte, le procureur peut procéder à tous les actes qu’il faut pour la recherche et la poursuite de l’infraction à la loi pénale. Et l’article 75 précise que c’est pour la recherche des pièces. A ce titre, il peut «requérir un médecin» tenu par un secret professionnel de lui fournir certaines informations. Et le médecin a l’obligation de s’exécuter.


Il peut également «requérir un banquier » tenu par le secret bancaire de lui fournir des informations sur le compte d’une personne dans le cadre d’une enquête. Le banquier est tenu de donner les informations. Il ne s’agit ici que d’information, parce qu’il s’agit d’une enquête préliminaire. La définition qui est donnée de la réquisition ne s’applique pas ici. La réquisition n’a pas le même sens ici. A ce stade de l’enquête, aucune poursuite n’est encore engagée contre l’individu. On ne recherche que des éléments pouvant justifier la poursuite.


Pour mémoire «la réquisition est l’opération de puissance publique par laquelle, dans les conditions strictement déterminées par les lois et les règlements, une autorité administrative ou militaire impose d’autorité à une personne (physique ou morale, de droit privé ou, éventuellement de droit privé) l’accomplissement de certaines prestations en vue d’un but d’intérêt général ». Or c’est ce type de réquisition que le procureur de la République près le Tribunal d’Abidjan a utilisée pour bloquer les comptes, alors qu’aucun des articles qu’il a cités ne lui donne ce pouvoir. D’ailleurs, en matière judiciaire, seul le juge d’instruction, par une ordonnance de séquestre, peut bloquer les comptes d’un prévenu, ou le tribunal par un jugement, peut ordonner une saisie de compte et non le procureur de la République. L’acte posé par le procureur de la République près la Tribunal d’Abidjan est illégal, parce qu’il n’est fondé sur aucun texte de la loi. Il est donc incompétent pour prendre un tel acte. Cet acte doit être qualifié «d’acte inexistant ». Il s’agit manifestement d’une voie de fait commise par ce haut magistrat Hors Hiérarchie, qui est censé protéger les citoyens contre l’arbitraire.


Les articles 41, 74 et suivants ne permettent pas au procureur de la République de prendre une réquisition pour geler les avoirs des citoyens. C’est dommage que le procureur de la République soit soutenu dans cette illégalité, par le Garde des Sceaux, ministre de la Justice qui, dans sa dernière conférence de presse, faisait cas des réquisitions du procureur de la République sans les dénoncer. Quand deux juristes s’associent pour violer la loi, il y a de quoi à s’interroger sur leur mobile. Veulent-ils couler le président de la République dont ils sont les premiers conseillers juridiques ?


Cette illégalité est renforcée par le deuxième visa qui énonce des décisions du Conseil de l’Union européenne.

2- De l’inapplicabilité des décisions du Conseil de l’Union européenne

Le procureur de la République fonde également sa décision sur celles prises par l’Union européenne à l’encontre de la Côte d’Ivoire. Ces décisions peuvent-elles justifier la prise de la réquisition des comptes ?


Le Conseil de l’Union européenne n’est pas un organe de l’administration ivoirienne, ni une institution de la République. Par conséquent, ses décisions n’ont aucune valeur juridique en Côte d’Ivoire. Peut être que la Côte d’Ivoire a signé un traité avec l’organisation européenne qui permet que ces décisions aient une valeur juridique en Côte d’Ivoire. Si le Procureur ne cite pas un tel texte, c’est qu’il n’existe pas. Les décisions du Conseil de l’Union européenne s’appliquent sur son territoire, et non en Côte d’Ivoire. C’est ce qui explique que cette organisation ne peut pas geler les fonds des Ivoiriens dans les banques ivoiriennes, si ce n’est en Europe.


 Pour qu’une décision de la l’Union européenne s’applique ici, il faut qu’il s’agisse d’une décision d’une juridiction, notamment la Cour européenne de justice. Encore que pour que la décision d’une juridiction étrangère s’applique en Côte d’Ivoire, il faut respecter certaines conditions. Ce sont les articles 345 à 350 du Code de procédure civile, commerciale et administrative qui réglementent l’exécution des décisions étrangères. L’article 345 ordonne que «Les décisions judiciaires, contentieuses ou gracieuses rendues dans un pays étranger ne peuvent donner lieu à aucune exécution fondée ou à aucune publicité sur le territoire de la République qu’après y avoir été déclarée exécutoire sous réserve des dispositions particulières résultant des conventions internationales ». On parle alors d’exequatur de la décision.


Les décisions du Conseil de l’Union européenne ne respectant pas les conditions imposées par les articles cités, ne peuvent être exécutées en Côte d’Ivoire, parce que le Conseil de l’Union européenne n’est pas une instance juridictionnelle. En se basant sur ces décisions pour procéder au blocage des comptes bancaires d’honnêtes citoyens, le procureur de la République renforce le caractère illégal de sa décision. Cette décision viole aussi la Constitution ivoirienne et la loi.

B-De la violation de la Constitution et de la loi

Nous avons démontré plus haut que les textes de loi et les décisions sur lesquels le procureur de la République s’est fondé ne lui donnaient pas le pouvoir de prendre la réquisition contestée. Mais plus grave, cette décision viole la Constitution qui est la loi fondamentale.

1-De la violation de la Constitution

La Constitution est la loi fondamentale, qui sert de fondement à tout texte que vote le parlement. Toutes les lois votées en Côte d’Ivoire ne doivent pas être contraires à elle, sinon elles deviennent anticonstitutionnelles.

La réquisition viole l’article 15 de la Constitution


En définissant la réquisition, nous avons indiqué qu’elle a un caractère contraignant, qu’elle doit être limitée dans le temps, et qu’elle donne lieu à réparation. Or, la décision du procureur de la République n’est pas contenue dans un délai précis. «Les comptes sont gelés jusqu’à nouvel ordre ». Les fonds déposés dans un compte en banque sont la propriété du déposant qui en use à sa guise. Le banquier n’est que le gardien. Le priver d’avoir accès à son argent sans raison, et de façon indéterminée, constitue une atteinte à son droit de propriété que garantie la Constitution. En effet, l’article 15 dispose que «Le droit de la propriété est garanti à tous.

Nul ne doit être privé de sa propriété si ce n’est pour cause d’utilité publique et sous la condition d’une juste et préalable indemnisation ». 

Selon la Constitution, l’Etat doit garantir le droit de propriété de tout citoyen c’est-à-dire, protéger la propriété de chaque citoyen. Il ne doit pas être privé de sa propriété sans raison. Et s’il devait en être privé seulement pour raison d’intérêt général, il faut qu’il soit au préalable indemnisé. C’est ce principe qui fonde l’expropriation.


Alors qu’aucune action publique pour infraction à la loi pénale, n’a encore été engagée contre elles, des personnes se voient empêchées de façon indéterminée d’avoir accès à leur compte. Même la personne poursuivie devant un juge d’instruction ou devant un tribunal correctionnel, bénéficie de la protection de la Constitution à plus forte raison celle qui n’est pas encore poursuivie. En reconnaissant le principe de la présomption d’innocence, la Constitution a voulu que le droit des personnes poursuivies soit respecté, et fasse l’objet d’une justice équitable.


L’attitude du procureur de la République fait peser des soupçons de détournement sur les victimes, qui ne font pas encore l’objet de poursuite. C’est une violation de l’article 22 de la Constitution qui dispose que «Nul ne peut être arbitrairement détenu.


Tout prévenu est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie à la suite d’une procédure lui offrant les garanties indispensables à sa défense».

2-De la violation du Code de procédure pénale

Il ressort de la lecture des deux listes publiées que nombreux sont des magistrats et préfet ou sous-préfet qui y figurent. Notre curiosité nous a amené à interroger certains de nos amis qui exercent dans ces corps pour savoir s’ils avaient bénéficié de la procédure spéciale prévue par le Code de procédure pénale ?


Ils étaient autant surpris que nous de voir leur nom sur la liste de personnes qui sont sous le coup d’une enquête de police. Ils n’ont même pas été informés qu’ils faisaient l’objet d’une enquête de police.


L’article 648 du Code de procédure pénale impose que «Lorsqu’un membre de la Cour Suprême, un magistrat de l’ordre judiciaire, un préfet est susceptible d’être inculpé d’un crime ou d’un délit commis hors de l’exercice de ses fonctions, le procureur de la République saisi de l’affaire présente requête à la Cour Suprême qui procède et statue comme en matière de règlement de juges et, si elle estime qu’il y a lieu à poursuite ou s’il y a plainte avec constitution de partie civile, désigne la juridiction où l’affaire sera jugée.

La Cour Suprême doit se prononcer dans la huitaine qui suit le jour où la requête sera parvenue.


L’instruction et le jugement sont communs aux complices de la personne poursuivie, lors même qu’ils n’exerceraient point de fonctions judiciaires ou administratives ». Pour marquer le caractère spécial de la procédure, l’article 649 précise que «le juge d’instruction désigné conformément aux dispositions de l’article 81 doit procéder personnellement à tous actes d’information nécessaires, et a compétence même en dehors des limites prévues par l’article 93». Ces autorités prévues à l’article 648 du CPP bénéficient de cette procédure spéciale, pour les infractions commises hors l’exercice de leur fonction, à plus forte raison dans l’exercice de leur fonction. Ils restent toujours protégés par la loi à son article 650.


Tout se passe comme s’il n’existait plus de loi dans le pays, et les magistrats qui sont censés la respecter la foule au pied. Quel est alors le rôle d’un procureur de la République s’il doit se comporter comme le chef du Far West ?
Il appartient au citoyen de mettre fin à cela en saisissant les tribunaux pour dire le droit, s’il existe encore des juges indépendants dans le pays.

Conclusion

Notre réflexion a été longue parce que nous avions le souci que toute personne, qui n’a pas étudié le droit, puisse comprendre notre explication. Et nous avons espoir que l’objectif sera atteint et que les lecteurs auront compris le message. Que retenir ?
La réquisition est une mesure que prend l’autorité militaire ou administrative en cas d’urgence ou de crise. Elle est réglementée et obéit à un certain nombre de conditions. Elle est contraignante, limitée dans le temps et donne lieu à réparation.
Dans notre droit positif, seul le gouvernement peut prendre une telle mesure par décret. La réquisition que peut prendre le procureur de la République diffère de celle-là. Et il ne la prend que pour obtenir des renseignements et des pièces, de personnes tenues au secret professionnel ou qui rechignent à exécuter ses instructions.


La décision du procureur de la République viole à tout point de vue les lois de la République. Il a agi en dehors de tout fondement juridique. Sa décision manque de base légale, et constitue de ce fait une voie de fait. Les personnes victimes peuvent saisir le juge des référés, pour obtenir une main levée de la mesure. Nous les y encourageons afin de redonner à la justice ivoirienne et, surtout, à la Côte d’Ivoire, leurs lettres de noblesse. C’est-à dire une Côte d’Ivoire démocratique, soucieuse du respect de la Constitution et de la loi. Le Président Laurent Gbagbo a mis particulièrement un point d’honneur au respect de la Constitution et de la loi. Tous les actes qu’il posait étaient en conformité avec le droit. Malheureusement, depuis 
l’arrivée des nouveaux maîtres, le droit est devenu la cinquième roue de la charrette pour faire place à la force des armes.


Vivement que le procureur de la République respecte la loi et la fasse respecter par les autres. Car le rôle premier d’un procureur, c’est de veiller au respect de la loi, et non d’agir contre la loi. Que le président de la République fasse attention au tandem Garde des Sceaux, ministre de la Justice –procureur de la République. Car il risque d’accroitre davantage le regard critique des organisations des droits de l’homme sur sa gouvernance. Il faut que le droit, rien que le droit soit dit. C’est pourquoi, il serait intéressant que les personnes figurants sur les listes du procureur puissent saisir le juge civil en référé pour que le droit soit restauré, pour la dignité de la justice ivoirienne.

Fait à Abidjan, le 22 juin 2011

Serge-StéphaneSilué
Juriste-Consultant,

Diplômé de l’Université de Poitier (France) 

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